vendredi 30 juin 2017

Les Pensées #3 : Les jours sans.

Aujourd'hui est un jour sans. En anglais, les bipolaires que je peux suivre sur tumblr ou youtube appellent ça les "low days". Ces journées où, sans crier gare, mon cerveau a décidé qu'il faisait grève, et que j'allais devoir faire sans lui.  Alors je fais sans. Sans sensation de faim, sans énergie, sans envie de me lever, sans motivation, sans joie, sans envie de vivre, sans envie de rien.

Souvent, je dis que le pire dans ma maladie, c'est les périodes mixtes. Maintenant que je suis en plein dans un jour sans, je me dis que finalement, ça me manquerait presque, l'état mixte. Au moins, quand la dépression se mélange à la manie, je ressens de la colère, de l'énervement, de l'irritabilité, de la frustration, de la tristesse; je me sens capable de soulever des montagnes à coup de poing dans la figure, j'ai de l'énergie à revendre, certes pour m'autodétruire, mais j'en ai, et ça donne l'impression d'avancer. Les jours sans, eux, sont vides. Ils ressemblent à ce ciel gris-blanc d'avant la pluie, à cette lumière dégeulasse et aveuglante, qui donne l'impression claustrophobe d'être enfermé sous une cloche. Les jours sans, c'est ne pas se lever de la journée, être à peine capable de manger, être content quand on a réussi à prendre une douche, même si on y est resté trop longtemps jusqu'à ce qu'on ai l'impression de se dissoudre sous l'eau brûlante, c'est ne pas être capable de lire, de rester concentrée sur une série ou un film, rester juste à fixer le mur de sa chambre, nu et en chien de fusil sous sa couette, avec le chat qui ronronne à ses pieds, pendant des heures, sans bouger. Les jours sans, c'est aussi les jours préférés de mes pensées intrusives, qui profitent de ce vide abyssal pour s'incruster dans mon cerveau, une à une. Les pensées intrusives, je crois qu'on les connais tous, malades ou pas malades. Quand on a un cerveau sain, on les connait sous leur forme de "Et si?": "et si j'avais oublié de fermer le gaz?", "et si j'avais perdu mon téléphone", mais elles s'évaporent aussi vite qu'elles sont apparues, chassées comme des mouches par un geste agacé de la main. Chez moi, elles sont aussi nombreuses que dangereuse. Car elles me connaissent bien, ces pestes. Elles savent comment titiller mes trigger, comment appuyer sur mes insécurités, comment se presser autour de mes angoisses. "Et si tu n'allais pas au travail? Et si tu étais bonne à rien, en fait? Et si cette personne te détestait sans que tu le saches? Et si tu étais un monstre? Et si tu devais mourir? Et si tu manquais à personne? Et si le monde se portait mieux sans toi?". Puis, progressivement, au fil des heures, le "et si" tombe, transformant ces petites questions perfides en affirmations sentencieuses: "Ne vas pas au travail. Tu es bonne à rien. Tout le monde te déteste. Tu es un monstre. Tu dois mourir. Tu manqueras à personne. Le monde se portera mieux sans toi.". Elles se déclinent à l'infini, tournent en boucle, font resurgir les mauvais souvenir, rouvrent les plaies suintantes, se transforment parfois en ordre de se faire du mal, de faire du mal aux autres, de se donner la mort, pour qu'au moins tout s'arrête. Elles piquent partout où ça fait déjà mal, et j'essaie de les repousser de toutes mes forces, mais cette lutte m'épuise, me cloue au lit, m'empêche de sortir de chez moi, de parler, d'ouvrir les yeux même. Ainsi je reste, en chien de fusil, un oreiller serré contre moi et le cerveau en champs de bataille, jusqu'à ce que le sommeil vienne me sauver de cette affreuse journée, me promette que demain ira mieux, jusqu'à ce qu'au réveil, il recommence - un autre jour sans.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire